lundi 31 mars 2014

Que reste-t-il de nos élus ? La suppléance en question


Anissa Amjahad (@aamjahad)
Politologue à l'ULB

Le temps électoral en est à la présentation des listes de candidats. Ces dernières semaines, les commentateurs de la vie politique ont émis un certain nombre de remarques sur la composition des listes et, ce faisant, sur la représentativité de ces dernières. En l’occurrence, personne n’aura manqué les débats portant sur les « fils et filles de » en politique et sur le principe de la suppléance. Dans ce billet, nous examinerons la question de la suppléance sous différents angles. Nous reviendrons sur l’explication du principe lui-même avant d’analyser l’ampleur de la suppléance au Parlement de la région de Bruxelles-Capitale.

Le principe de la suppléance en débat

La question de la suppléance se pose lorsqu’un élu est empêché d’exercer son mandat de député en raison de l’interdiction de certains cumuls, d’éthique politique ou de raisons personnelles. Dans de telles circonstances, une autre personne viendra remplacer l’élu dans l’assemblée parlementaire. A l’échelon régional (contrairement à l’échelon local), ce n’est pas la personne détenant le plus de voix après l’ensemble des candidats élus qui remplacera le député empêché mais bien le premier suppléant de la liste. En effet, chaque liste électorale est composée d’une liste de candidats titulaires et d’une liste de candidats suppléants. Tout comme les candidats titulaires, les candidats suppléants sont classés, après dévolution (1), par ordre de voix. On désigne ainsi les premier, deuxième et énième suppléants selon cet ordre d’importance. Ainsi, lorsqu’un élu titulaire ne peut siéger, la personne qui le remplacera est le premier suppléant.

Deux arguments s’opposent en matière de suppléance. Les uns dénoncent ce mécanisme en évoquant le caractère non-démocratique de la suppléance et le manque de légitimité des suppléants. Ils pointent alors les situations dans lesquelles un suppléant siège alors qu’il a obtenu un nombre de voix nettement moins élevé que certains colistiers titulaires. A l’opposé, d’autres louent la suppléance pour ses vertus. Elle permettrait de ne pas devoir voter à chaque fois qu’un député quitte le parlement et donnerait l’occasion à des personnes peu populaires mais compétentes de siéger et d’enrichir les débats par la qualité de leur travail parlementaire. 

Cet article n’a certainement pas vocation à avancer dans ce débat sur le plan des idées. Qu’en est-il donc dans les faits ? Des chiffres plutôt que des mots. Les parties suivantes s’attachent donc à illustrer ce débat en quantifiant le phénomène de la suppléance en Région de Bruxelles-Capitale.

L’ampleur de la suppléance en région bruxelloise

En 2009, 89 députés bruxellois ont été élus par les Bruxellois. Pour être plus précis, 72 députés ont été élus par les électeurs du groupe linguistique français et 17 députés ont été choisis par les électeurs du groupe linguistique néerlandais. En cours de législature, il n’est pas rare de voir certains de ces élus titulaires démissionner et se faire remplacer par des suppléants.  A la vieille des élections, que reste-t-il de nos élus dans l’assemblée parlementaire et quelle est l’ampleur de la suppléance à Bruxelles ?

Sur les 89 députés qui siègent aujourd’hui, 20 sont des suppléants. En d’autres termes, près d’un quart (22.5%) des députés bruxellois n’ont pas été « directement » élus. Autant dire que le phénomène mérite une certaine attention. Le tableau suivant décompose ce chiffre par parti. On remarquera que les partis flamands possédant de plus petits effectifs sont souvent dans une situation où leur part des suppléants est importante. Pour le reste, les différents taux de suppléance s’expliquent principalement par la participation ou non à la coalition gouvernementale.

Tableau : Répartition des suppléants par parti (2009-2014)
Parti
Nombre de suppléants
Nombre de sièges
Part de suppléants
CD&V
2
3
66,7 %
cdH
2
10
20 %
Ecolo
3
16
18,8 %
FDF
3
11
27,3%
Groen
1
2
50 %
Indépendants
0
4
0 %
MR
2
13
15,4 %
N-VA
0
1
0 %
Open VLD
2
4
50 %
PS
4
20
20 %
sp.a
1
4
25 %
Vlaams Belang
0
1
0 %
Total
20
89
22,5 %


La performance électorale des suppléants en 2009 

Les données électorales permettent non seulement de quantifier l’ampleur de la suppléance en Région de Bruxelles-Capitale mais également de faire le point sur les scores des suppléants. En raison du partage en deux groupes linguistiques distincts au sein desquels se distribuent les sièges, la situation en termes de voix des suppléants est contrastée.  

Pour l’ensemble des élus du groupe linguistique néerlandais, tous partis confondus, un suppléant obtient en moyenne 584 voix (2) tandis qu’un candidat titulaire élu compte en moyenne 1.544 voix de préférence (3). En moyenne, la différence entre l’élu et le suppléant est donc de 960 voix.  Cette mesure cache toutefois des réalités contrastées. Dans ce groupe linguistique, le suppléant qui siège avec le plus petit nombre de voix est Herman Mennekens (Open VLD) avec 369 voix. En revanche, le suppléant qui siège avec le plus grand nombre de voix est Brigitte De Pauw (CD&V) avec 1.069 voix.

Tableau : Résultats moyens des élus titulaires et suppléants par parti flamand 
Parti
Nombre de suppléants
Nombre de sièges
Nombre moyen de voix des suppléants
Nombre moyen de voix des élus titulaires
Différence
CD&V
2
3
863
1.918
- 1.055
Groen
1
2
372
973
- 601
N-VA
0
1
-
710
-
Open VLD
2
4
417
2.167
- 1.750
sp.a
1
4
683
1.962
- 1.279
Vlaams Belang
0
1
-
1.535
-
Total
6
15
583,75
1544,17
-960,42

Au sein du groupe linguistique français, un député suppléant obtient un score moyen de 2.049 voix de préférence alors qu’un candidat titulaire élu fait en moyenne 5.770 voix de préférence. La différence entre l’élu et le suppléant est conséquente et s’élève en moyenne à 3.721 voix. Ces nombres moyens ne sont toutefois pas représentatifs de l’ensemble des cas. Le suppléant qui siège avec le plus petit nombre de voix est Christian Magérus (PS) avec 969 voix. Le suppléant qui siège avec le plus grand nombre de voix est Michel Colson (FDF) avec 3.015 voix.

Tableau : Résultats moyens des élus titulaires et suppléants par parti francophone 
Parti
Nombre de suppléants
Nombre de sièges
Nombre moyen de voix des suppléants
Nombre moyen de voix des élus titulaires
Différence
cdH
2
10
2.456
6.212
- 3.756
Ecolo
3
16
1.305
3.615
- 2.310
FDF
3
11
1.931
6.657 (4)
- 4.726
MR
2
13
2.413
6.657
- 4.244
PS
4
20
2.142
5.709
- 3.567
Total
14
70
2.049,4
5.770
-3720,6

Enfin, en écho au débat démocratique, on peut s’interroger sur le nombre de candidats titulaires non-élus qui dépassent en voix de préférence les suppléants qui siègent. En prenant un critère strict de comparaison (le suppléant qui a obtenu le plus de voix de préférence) (5), on remarque que sur l’ensemble des candidats titulaires qui se présentaient aux élections de 2009, 16 comptabilisent un nombre de voix plus élevés que leur colistier suppléant qui siège actuellement. Il y en a 3 pour le groupe linguistique néerlandais et 13 pour le groupe linguistique français. Ce nombre est déjà conséquent mais il faut préciser que le nombre de candidats titulaires qui se voient ravir la possibilité de siéger par un candidat suppléant aurait été nettement plus élevé si nous avions pris un critère moins restrictif de comparaison (le suppléant siégeant qui a obtenu le moins de voix de préférence. Cette répartition par parti francophone est contrastée puisque l’on retrouve un minimum de deux candidats titulaires « déchus » chez Ecolo et 5 d’entre eux au PS.

Parti
Nombre de candidats « déchus »
Partis
Nombre de candidats « déchus »
cdH
3
CD&V
0
Ecolo
2
Groen
3
FDF/MR (6)
3
Open VLD
0
PS
5
sp.a
0
Total
13
Total
3


Notes

(1) La question de la dévolution fera l’objet d’un autre billet.
(2) Cette mesure est obtenue en tenant compte des résultats de tous les suppléants qui siègent.
(3) Cette mesure est obtenue en tenant compte des résultats de tous les élus titulaires.
(4) Le FDF et le MR s’étant présentés sur la même liste en 2009, il est plus aisé de présenter un résultat commun pour les deux partis.
(5) En d’autres termes, pour chaque liste, nous avons comparé le score du suppléant siégeant avec le nombre de voix de préférence le plus élevé avec les scores des candidats titulaires de la même liste. Nous avons ensuite reporté le nombre de candidats titulaires qui ont obtenu plus de voix de préférence que ce suppléant.
(6) Ces deux partis s’étant présentés sur la même liste en 2009, il est plus aisé de présenter ce résultat qu’un résultat séparé.