mercredi 28 mai 2014

Les priorités du parlement bruxellois pour 2014-2019


Régis Dandoy (@rdandoy)
Politologue à la FLACSO. Chercheur associé à l’ULB et l’UCL

Grégory Piet (@grgpiet)
Politologue à Université de Liège


Ce 25 mai 2014, quelques 584.310 citoyens belges domiciliés dans la région bruxelloise ont élu leurs 89 députés régionaux. Tous ces députés ont été élus sur base d’un programme électoral. Le programme électoral, c’est ce long document de plusieurs centaines de pages que peu d’électeurs lisent (pour une analyse de la longueur des programmes électoraux, voici ici) mais qui remplit une fonction importante : celui d’annoncer au préalable les priorités de cet(te) élu(e). Le programme discute ainsi les avancées réalisées par les élus du parti lors de la précédente législature mais liste également les promesses électorales de leur parti pour la législature à venir. Si un parti met en avant tel ou tel enjeu de politique publique, on peut s’attendre à ce que les députés provenant de ce parti en fassent leur priorité une fois qu’ils siègent au parlement.

Dans une précédente série de billets, nous avons étudié les priorités des partis politiques pour les élections à Bruxelles en analysant le contenu de leurs programmes électoraux pour cette région. Ces priorités sont identifiées grâce à une méthode d’analyse de texte basée sur des mots-clés (voir Note méthodologique). Dans la lignée de ces analyses, nous allons nous pencher sur les futures priorités du parlement bruxellois en extrapolant sur base de ces programmes électoraux. Les priorités de chaque parti sont pondérées en fonction de son poids en termes de sièges au sein de cette assemblée. Pour rappel, les élections du 25 mai 2014 ont donné les résultats suivants : PS 21 sièges, MR 18, FDF 12, cdH 9, Ecolo 8, Open VLD 5, PTB-PVDA-Go! 4, Groen 3, sp.a 3, N-VA 3, CD&V 2, Vlaams Belang 1. La N-VA ayant fait le choix de ne pas rédiger de programme électoral bruxellois en 2014, ce parti ne sera donc pas intégré à nos analyses.

Le Tableau 1 présente ces priorités pour la prochaine législature, dans l’hypothèse où les partis politiques mettent en avant les enjeux qu’ils ont discutés dans leurs programmes électoraux bruxellois. Globalement, il n’y a pas de thématique qui se dégage par rapport aux autres, mis à part les questions institutionnelles et administratives (18,05%) et qui traitent des défis et réformes de la structure administrative, institutionnelle et communautaire de Bruxelles. Ces questions sont significativement plus présentes au sein du groupe linguistique néerlandais (30,74%) en comparaison des partis présents dans groupe linguistique français (15,58%). Il est probable que l’importance du débat sur les questions communautaires en Flandre rejaillisse sur le contenu des programmes des partis flamands. Prises dans leur ensemble, les catégories socio-économiques représentent plus du tiers des priorités du futur parlement bruxellois (36,56%). A l’inverse des questions institutionnelles et administratives, les enjeux socio-économiques à Bruxelles sont plus mis en avant au sein du groupe linguistique français (38,37%) par rapport au groupe linguistique néerlandais (27,25%). Il est donc probable que les futurs débats sur le socio-économique au parlement bruxellois soient initiés par les députés francophones plutôt que par leurs collègues flamands.

Sur la première marche du podium des priorités du parlement bruxellois pour 2014-2019, nous retrouvons l’enseignement (8,95%), suivi par l’économie et la politique fiscale (8,68%) et les affaires sociales (8,38%). Ces trois catégories d’enjeux sont plus présentes dans le groupe linguistique français que dans le groupe linguistique néerlandais. Les partis membres de ce groupe linguistique néerlandais mettent ainsi de leur côté l’accent en premier lieu sur le développement local et la politique du logement. A l’échelle du parlement pris dans son ensemble, le développement local et la politique du logement viennent en quatrième position. Ensuite, nous retrouvons des enjeux importants pour l’avenir de Bruxelles, à savoir l’emploi (7%) et la mobilité (6,69%). Aux septième et huitième positions, nous retrouvons les affaires étrangères et européennes (mettant principalement l’accent sur le statut international de Bruxelles) et le commerce et les entreprises. Les autres catégories d’enjeux de politiques publiques représentent une moindre priorité pour le futur parlement bruxellois, à savoir principalement les arts et la culture (4,68%), la justice et la criminalité (3,19%), la santé (3,11%) et l’environnement (2,16%). Enfin, l’immigration, l’agriculture et le commerce extérieur devraient être les grands absents des futurs débats du parlement bruxellois.

Tableau 1. Priorités du parlement bruxellois pour 2014-2019 (en %)

Groupe linguistique
 français
Groupe linguistique
néerlandais
Parlement
bruxellois
Economie et politique fiscale
9,27%
5,64%
8,68%
Droits et libertés
3,99%
2,18%
3,70%
Santé
3,27%
2,31%
3,11%
Agriculture et pêche
0,55%
0,05%
0,46%
Emploi
7,25%
5,73%
7,00%
Enseignement
9,33%
7,00%
8,95%
Environnement
2,19%
1,99%
2,16%
Politique énergétique
1,45%
1,42%
1,44%
Immigration
0,72%
0,81%
0,73%
Mobilité
6,59%
7,17%
6,69%
Justice et criminalité
3,46%
1,78%
3,19%
Affaires sociales
8,46%
7,97%
8,38%
Développement local et politique du logement
7,35%
9,78%
7,74%
Entreprises, commerces et secteur bancaire
6,41%
3,70%
5,97%
Défense
0,10%
0,23%
0,12%
Recherche scientifique et TIC
1,58%
0,41%
1,39%
Commerce extérieur
0,76%
0,34%
0,69%
Affaires étrangères et européennes
6,98%
4,21%
6,53%
Questions institutionnelles et administratives
15,58%
30,74%
18,05%
Aménagement du territoire
0,28%
0,62%
0,34%
Arts et culture
4,44%
5,92%
4,68%
Total
100,00%
100,00%
100,00%


A l’aide de la même méthodologie (estimation des priorités du parlement bruxellois sur base des programmes électoraux des partis qui y siègent), nous pouvons comparer les priorités du parlement bruxellois pour la législature 2014-2019 avec celles de la précédente législature (2009-2014). Le Vlaams Belang ayant fait le choix de ne pas rédiger de programme électoral bruxellois en 2009, ce parti ne sera donc pas intégré à nos analyses. Conséquence probable de la réforme de l’état de 2012-2014, les questions institutionnelles et administratives voient leur importance diminuer drastiquement par rapport à la précédente législature (-8,81%, voir Tableau 2). A l’inverse, les enjeux de nature socio-économique voient leur importance s’accroître en 2014 (+12,16%).

Parmi les enjeux de la campagne qui perdent également de l’importance pour la législature 2014-2019, nous retrouvons également l’environnement (-1,92%) – conséquence directe de la défaite électorale d’Ecolo – et le développement local et la politique du logement (-1,31%), bien que cet enjeu soit crucial pour l’avenir de Bruxelles, ainsi que les arts et la culture (-1,16%). Les catégories de politiques publiques qui voient leur importance s’accroître sont l’enseignement (+3,39%), les affaires étrangères et européennes (+2,98%), l’emploi (+2,43%), les affaires sociales (+1,79%), l’économie et la politique fiscale (+1,46%), et la justice et la criminalité (+1,4%).

Tableau 2. Priorités du parlement bruxellois en 2009-2014 et 2014-2019 (en %)

2009-2014 
2014-2019 
Différence 
Economie et politique fiscale
7,22%
8,68%
+1,46%
Droits et libertés
3,12%
3,70%
+0,58%
Santé
3,28%
3,11%
-0,17%
Agriculture et pêche
0,50%
0,46%
-0,04%
Emploi
4,57%
7,00%
+2,43%
Enseignement
5,56%
8,95%
+3,39%
Environnement
4,08%
2,16%
-1,92%
Politique énergétique
1,95%
1,44%
-0,51%
Immigration
0,89%
0,73%
-0,16%
Mobilité
7,50%
6,69%
-0,81%
Justice et criminalité
1,79%
3,19%
+1,40%
Affaires sociales
6,59%
8,38%
+1,79%
Développement local et politique du logement
9,05%
7,74%
-1,31%
Entreprises, commerces et secteur bancaire
5,27%
5,97%
+0,70%
Défense
0,08%
0,12%
+0,04%
Recherche scientifique et TIC
1,02%
1,39%
+0,37%
Commerce extérieur
0,75%
0,69%
-0,06%
Affaires étrangères et européennes
3,55%
6,53%
+2,98%
Questions institutionnelles et administratives
26,86%
18,05%
-8,81%
Aménagement du territoire
0,52%
0,34%
-0,18%
Arts et culture
5,84%
4,68%
-1,16%
Total
100,00%
100,00%



Note méthodologique

Cette analyse des programmes électoraux repose sur un logiciel d’analyse de textes, de discours et d’arguments, nommé Prospéro (Chateauraynaud, 2003 ; voir, par exemple, le carnet de recherche du GSPR, développeur de Prospéro http://socioargu.hypotheses.org/ ainsi que le site dédié au logiciel Prospéro http://prosperologie.org/). La méthode consiste en la création de 21 répertoires thématiques reprenant l’ensemble des enjeux et politiques publiques identifiables au sein des programmes, sur base du travail préalablement effectué par Baumgartner et Jones (http://www.policyagendas.org/page/topic-codebook). Ces 21 répertoires sont constitués de 16.582 mots et expressions permettant d’identifier et de coder automatiquement les parties d’un texte liées à l’emploi, au logement, à la mobilité, à l’économie, à la politique étrangère, etc. Cet encodage automatique permet ainsi de mesurer les préférences et les priorités des partis politiques au sein de leur programme électoral. Pour une analyse en profondeur d’un enjeu politique et une explication détaillée de la manière de constituer les répertoires de mots et d’expressions, voir Piet (2013).

samedi 24 mai 2014

La nature et la longueur des programmes électoraux à Bruxelles


Régis Dandoy (@rdandoy)
Politologue à la FLACSO. Chercheur associé à l’ULB et l’UCL


Les tests électoraux (aussi appelés systèmes d’aide au vote ou stemtests) sont ces jeux virtuels où l’électeur – sur base de réponses à quelques questions sur les enjeux de la campagne – se voit indiquer pour quel parti il est (ou devrait se sentir) le plus proche. C’est bien beau et bien gentil, mais c’est réduire le positionnement des partis politiques à quelques questions, sans prendre en compte la complexité de ces enjeux. Qui plus est, ces questions n’ont pas été choisies par les partis ou les candidats eux-mêmes (pour rappel, ce sont eux qui se présentent aux élections), mais par des journalistes et/ou des politologues éclairés. Mais savent-ils vraiment ce qui est important pour chaque électeur individuellement ? Et leur lecture du positionnement d’un parti sur un enjeu de la campagne est-elle identique à celle d’un citoyen lamba ?

Les tests électoraux ne sont donc pas la méthode idéale pour savoir quel est le parti politique qui nous ressemble le plus ou qui met en avant les enjeux qui nous préoccupent le plus. Mais quelle est alors l’alternative ? Les électeurs peuvent-ils faire comme ces journalistes et ces politologues qui ont préparé les questions de ces tests et lire en profondeur les programmes de tous les partis politiques pour toutes les élections ? Suite à nos analyses du contenu des programmes des principaux partis, ce billet se penche sur la faisabilité de la lecture des programmes électoraux par le citoyen bruxellois lamba, en évaluant leur longueur et leur comparabilité.


Des programmes électoraux exclusivement bruxellois ?

Les partis politiques se présentant à l’électeur bruxellois pour les élections régionales ont fait le choix de présenter différents types de programmes électoraux. Certains présentent un programme unique pour les élections régionales à Bruxelles, d’autres ont misé sur une stratégie d’un programme commun pour tous les niveaux de pouvoir – européen, fédéral, régional – tandis que les autres partis ont fait un choix hybride, quelque part entre ces deux scénarios extrêmes. Les programmes électoraux spécifiques à la région wallonne, au fédéral et à l’Europe ne seront pas intégrés à cette analyse.

Tout d’abord, certains partis ont fait le pari de présenter à l’électeur un programme électoral exclusivement bruxellois. Dans ce groupe de partis, nous retrouvons bien évidemment les partis qui ne se présentent qu’aux régionales à Bruxelles comme ProBruxsel (qui présente un programme long, ainsi qu’une version plus courte), FE-MDCEJ, Egalitaires! ou encore Pensio(e)n plus, mais également les partis qui ont rédigé un programme séparé pour chaque élections auxquelles ils participent, comme les FDF, le Parti Pirate, VEGA ou encore Nation. A l’exception des FDF, il s’agit donc de petites formations politiques, présentant généralement un programme bruxellois relativement court.

De l’autre côté, nous retrouvons les partis qui ont rédigé d’un programme commun pour tous les niveaux de pouvoir. Les points et enjeux spécifiquement bruxellois sont dans ce cas intégrés au sein de ce programme, souvent sous la forme d’une section ou d’un chapitre bruxellois. Dans ce groupe de partis, nous retrouvons des partis tels que le Parti Populaire, La Droite, Debout les Belges!, le Parti Libertarien, Gauches communes, BUB ou encore le RWF. Il s’agit également de petites formations politiques, présentant un programme de taille souvent modeste et des listes non complètes en région bruxelloise (voir le billet sur ce sujet ici). Dans ce groupe, nous retrouvons également la N-VA qui a décidé de ne pas rédiger – probablement pour des raisons idéologiques, étant donné que ce parti prône une co-gestion de Bruxelles – de programme bruxellois bien que le parti y présente trois listes (Bruxelles, Flandre et fédéral).

Les autres partis ont choisi une stratégie un peu plus particulière, à savoir rédiger un spécifique programme pour les régionales à Bruxelles, en plus d’un programme commun pour les autres niveaux de pouvoir (avec dans certains cas, un programme spécifique pour l’Europe). Dans ce groupe, nous retrouvons les principaux partis francophones (PS, MR, Ecolo et cdH) et flamands (Open VLD, sp.a, CD&V et Groen), Parmi ces partis, nous retrouvons également deux plus petites formations politiques, à savoir le PTB-go! et Rassemblement R.


Des milliers de pages... Que lire ?

Vous voulez lire les programmes électoraux de tous les partis se présentant à Bruxelles ? Préparez-vous donc à lire… 4.744 pages ! Cela correspond au nombre total de pages des programmes pour la région Bruxelloise ainsi que les programmes communs (pour Bruxelles mais également les autres niveaux de pouvoir).

Mais il y a moyen de réduire cette quantité d’informations en laissant de côté les programmes communs région – fédéral – Europe lorsque le parti rédige a rédigé plusieurs programmes en parallèle et en ne lisant que leur programme spécifiquement bruxellois. Certains partis ont également rédigé des résumés pour leurs programmes bruxellois et/ou de leur programme commun. Si vous ne souhaitez lire que versions bruxelloises et/ou résumées de ces programmes pour ces partis, le nombre de pages à lire diminue à 1.148 pages, ce qui reste toutefois considérable.

Bref, il vous reste une nuit avant les élections du 25 mai, vous avez maintenant quoi lire si vous n’arrivez pas à dormir…

Tableau. Taille des programmes électoraux à Bruxelles

Programme bruxellois
Programme bruxellois (résumé)
Programme commun (EU, fédéral, Bruxelles)
Programme commun (résumé)
Partis francophones
MR
70 pages
-
565 pages
77 pages
PS
155 pages
28 pages
503 pages
53 pages
Ecolo
13 pages
-
810 pages
65 pages *
cdH
106 pages
-
615 pages
192 pages
FDF
208 pages
-
-
-
Pro Bruxsel
44 pages
6 pages
-
-
PTB-Go!
64 pages
-
123 pages
104 pages
PP
-
-
91 pages

VEGA
15 pages
-
-
-
La Droite
-
-
4 pages
-
Debout les Belges!
-
-
9 pages
-
Gauches communes
-
-
5 pages
-
Nation
13 pages
-
-
-
Parti Libertarien
-
-
63 pages
-
Egalitaires!
2 pages
-
-
-
Islam
-
-
20 pages
-
BUB
-
-
21 pages
-
RWF
-
-
14 pages
-
R
13 pages

11 pages
-
FE-MDCEJ
2 pages
-
-
-
Pirate
31 pages
-
-
-





Partis Flamands
Open VLD
41 pages
-
56 pages
-
sp.a
76 pages
-
286 pages
19 pages
Vlaams Belang
 76 pages *
-
40 pages
-
CD&V
52 pages
-
55 pages
-
Groen
97 pages
7 pages
317 pages
-
N-VA
-
-
96 pages
-
ProBruxsel N
2 pages
-
-
-

Note : * Dans certains cas, le programme électoral n’est pas disponible dans un seul document, mais consiste en une agrégation de différents chapitres. Le nombre de pages est donc comptabilisé sur ces différents chapitres agrégés dans un document Word. Le résumé du programme Ecolo consiste en une table des matières de toutes les propositions. Le document utilisé pour l'analyse du Vlaams Belang n’est pas un véritable programme mais le texte issu du congrès national "Brussel. morgen onze stad" tenu par le parti en décembre 2013.