jeudi 1 septembre 2016

Vote des Belges à l’étranger: sont-ils (trop) déconnectés de la réalité politique belge ?

Dr. Régis Dandoy (@rdandoy)
Politologue à l’UCL

Une des principales critiques par rapport au vote des Belges résidant à l’étranger concerne le fait qu’ils sont trop déconnectés de la politique belge pour pouvoir voter en toute connaissance de cause (voir par exemple la carte blanche de Michel Ghesquière). S’il est évident qu’un(e) belge domicilié depuis 30 ans dans la forêt amazonienne au Pérou et sans contacts réguliers avec la Belgique peut potentiellement éprouver des difficultés à connaître tous les partis et tous les candidats présents sur les listes électorales, les choses peuvent s’avérer différentes pour le/la Belge travaillant dans une banque au Luxembourg mais revenant tous les week-ends en Belgique pour visiter sa famille et ses amis.

Car beaucoup de ces Belges résidant à l’étranger ne coupent pas les ponts avec le plat pays. Certains reviennent régulièrement en Belgique pour leurs affaires, les vacances, la Noël ou certains événements familiaux ; d’aucuns continuent à suivre les informations politiques via les périodiques ou les journaux télévisés (qui sont depuis quelques années accessibles en ligne partout dans le monde) ; ou d’autres enfin restent au contact avec la réalité sociale, culturelle, économique et politique belge via leurs activités, leurs professions, ou tout simplement leurs contacts téléphoniques ou électroniques avec leurs familles et amis. Au demeurant, si la connaissance de la réalité politique belge s’érige en critère d’acquisition du droit de vote, cet élément pourrait potentiellement s’appliquer à nombre d’électeurs n’ayant pourtant jamais quitté le territoire belge. Pas sûr que le législateur belge souhaite emprunter cette voie qui mènerait in fine à distinguer un bon électeur d’un mauvais électeur…

Dans ce troisième billet consacré au vote des Belges résidant à l’étranger (après celui sur son impact sur les partis qui gagnent et perdent des voix, et celui sur son impact sur la répartition des sièges au parlement bruxellois), nous allons brièvement analyser deux aspects de ce vote: le recours aux différentes modalités de vote et le vote pour la case de tête ou pour un ou plusieurs candidats. Les résultats pour les élections fédérales de 2014 en région bruxelloise seront pris comme cas d’étude, étant donné l’importance cette région pour le système politique belge et la présence conjointe de partis flamands et francophones.

Comment votent les Belges à l’étranger ?

Le 25 mai 2014, pas moins de 22.709 Belges résidant à l’étranger ont émis un vote pour les élections fédérales dans la circonscription de Bruxelles. Seuls 64,79% de ces Belges ont effectivement voté, ce qui est sensiblement plus bas que taux de participation observé en région bruxelloise (voir l’analyse du taux de participation à Bruxelles en 2014). Ce chiffre peut difficilement être révélateur d’une éventuelle déconnection avec la réalité politique belge, étant donné que nombre de ces électeurs ont été confrontés à diverses difficultés techniques qui ont entravé leur vote. Par exemple, certains Belges souhaitant voter par correspondance ont reçu leur bulletin de vote quelques jours – voire quelques semaines – après la date des élections.

La liste officielle des électeurs belges résidant à l’étranger fut arrêtée le 1er mars 2014. Pas moins de cinq modes de vote furent mis à la disposition de ces électeurs: le vote en personne dans une commune belge ; le vote par procuration dans une commune belge ; le vote en personne dans un poste diplomatique ou consulaire ; le vote par procuration dans un poste diplomatique ou consulaire ; et le vote par correspondance. Dans leur grande majorité (70,08%), les Belges résidant à l’étranger ont fait le choix de voter par correspondance.

Néanmoins, 1,18% d’entre eux étaient sur le territoire belge le jour de l’élection. Il n’est donc pas possible d’accuser ces électeurs d’être trop déconnectés de la réalité du ‘terrain’ belge, même s’il est difficile de savoir s’ils sont revenus en Belgique spécifiquement pour les élections ou si ils étaient présents sur le territoire pour une toute autre raison (familiale, professionnelle, etc.). Enfin, en ce qui concerne le vote par procuration, que cela soit dans une commune belge (5,17%) et dans un poste diplomatique ou consulaire (1,40%), il est également difficile d’accuser ces électeurs d’être trop déconnectés de la réalité politique belge, étant donné que ce ne sont tout simplement pas eux qui ont voté…

Votes en case de tête ou votes de préférence ?

Outre le mode de vote choisi par le Belge résidant à l’étranger, son comportement de vote peut-il nous apprendre quelque chose au sujet de sa connaissance de la réalité politique belge ? Lors des scrutins, l’électeur peut voter de deux manières différentes : soit en case de tête, soit pour un(e) ou plusieurs candidats. Cette dernière forme de vote est également appelée voix ou vote ‘de préférence’ puisqu’il permet à l’électeur d’identifier directement les candidat(e)s qu’il souhaite voir siéger au parlement (voir l'analyse de ces votes à Bruxelles). Mais la science politique nous a appris que ces votes de préférences s’observent plus souvent dans le cas d’électeurs proches de l’un ou l’autre candidat. A l’inverse, l’électeur qui ne connaît pas personnellement les candidats ou qui ne s’intéresse à la politique que de manière sporadique ou superficielle aura tendance à exprimer un vote en case de tête.

Si l’hypothèse des Belges résidant à l’étranger déconnectés de la réalité politique belge se vérifie, nous devrions observer une plus faible proportion de votes de préférence chez ce groupe d’électeurs par rapport aux électeurs belges résidant à Bruxelles. Le Tableau 1 confirme clairement cette hypothèse: près de 2/3 des Belges à Bruxelles expriment un vote de préférence lors des élections fédérales, tandis qu’ils sont moins d’un tiers chez les Belges résidant à l’étranger. A l’inverse, près de 70% de ces Belges de l’étranger a émis un vote en case de tête.

Tableau 1. Pourcentage de votes de préférence et en case de tête à Bruxelles (élections fédérales de 2014, par canton électoral)
Cantons
Votes de préférence
Votes case de tête
Anderlecht
68,17%
31 83%
Bruxelles
67,79%
32,21%
Ixelles
62,83%
37,17%
Molenbeek
68,64%
31,36%
St Gilles
62,61%
37,39%
St Josse
68,63%
31,37%
Schaerbeek
69,30%
30,70%
Uccle
65,96%
34,04%
Etranger
30,86%
69,14%
Note : les résultats sont présentés par cantons électoraux puisque les informations sur ce comportement de votes n’est pas disponible au niveau communal.

S’il est difficile d’établir un lien entre la méconnaissance de la réalité politique belge et le choix d’un vote en case de tête, il paraît évident que l’éloignement physique (parfois sur un autre continent) et temporel (parfois pendant des décennies) tend à réduire la propension à connaître, communiquer et voter pour des candidats individuellement. La déconnection des Belges résidant à l’étranger par rapport à la vie politique belge est plus que probablement une réalité pour certains de ces Belges. L’éventuelle extension du droit de vote des Belges résidant à l’étranger pour les élections des parlements de région (voir l’avant-projet de loi approuvé au Conseil des ministres) devra à n’en pas douter se pencher sur cette question.



Pour citer ce billet : Dandoy Régis, « Vote des Belges à l’étranger: sont-ils (trop) déconnectés de la réalité politique belge ? », Blog - Elections, made in Brussels, 2 september 2016
URL: http://electionsbxl.blogspot.be/2016/09/vote-des-belges-letranger-sont-ils-trop.html